dimanche, avril 03, 2011

Publié en différé : «Halluciner une carrière»

Pour ceux qui ne l'aurait pas encore lue, voici mon dernier coup de gun publié le 22 mars 2011.

Ça fait une couple de semaines que je tente de retrouver le point de fracture avec la réalité, le moment où on s’est mis à halluciner en gang. J’essaie de retrouver le moment où on s’est mis à croire dur comme fer à une lubie aussi navrante… La baloune pète ici et là et nous pataugeons en pleine déception. Je veux qu’on se le tienne pour dit : mis à part une poignée de chanceux, personne ne vivra de son art. Personne. Et aussi fort voudrez-vous entretenir cette espérance, il n’en sera rien. Même si vous mettez ça sur le dos de la culture sous financée, même si vous attribuez ça au manque d’initiative de tel ou tel artiste, même si vous accusez le bon public de ne rien comprendre à vos inepties. Ok. Ne paniquez pas : il se peut que vous fassiez plusieurs piasses avec vos trucs, dans quel cas je me serais trompé dans mes prédictions. Sauf que je mets tout de même mon fric sur la possibilité que ça n’arrive pas.
Il faut faire acte de conscience et détruire le complexe hallucinatoire qui nous hante : tant qu’on parlera du métier d’écrivain en termes carriéristes – termes qui lui siéent très mal, croyez-moi, car réussir sa carrière n’a rien à voir avec réussir sa démarche artistique – on continuera de croire qu’il s’agit d’un métier qui peut se plier aux impératifs d’une carrière, c’est-à-dire assurer son ascension dans une échelle salariale, ses avancements, ses opportunités, etc. Et on fait beaucoup pour maintenir se mythe en place. Ce mythe créé une autre confusion fâcheuse, celle qui nous fait ranger chroniqueur, journaliste, blogueur, écrivain, scénariste dans le même tiroir (vous me direz que nous sommes à l’ère de la convergence des médias, du web 2.0 et de la diarrhée verbale). Comme si chacune de ces professions n’étaient qu’une facette du même métier, une carte de plus dans son jeu, un atout de plus pour être engagé grâce à jobboom. J’appelle ça de la dispersion de talent alors que d’autres pourraient appeler ça de l’initiative ou savoir se rédiger un cv.
Écrire ce n’est pas une job, c’est un sacrifice. Si écrire est une carrière, c’est une anti-carrière : elle est trouée de compromis, traversée par des troupeaux de vaches maigres, ponctuée de trains manqués. Écrire ça ne se compile pas en résultats ni en dollars (oui, je sais, c’est triste). Tant que vous vous obstinerez à le voir ainsi, vous passerez à côté de votre tâche la plus importante, torcher quelque chose de neuf et de dérangeant. Aller à Tout le monde en parle, être vu dans les 5 à 7, passer à la radio, vendre des tonnes de copies, ce n’est pas réussir à écrire. Gagner sa vie en écrivant ce n’est pas (automatiquement) réussir en tant qu’écrivain – réussir à écrire, à être écrivain, c’est réussir à dire quelque chose. Cessez de vous surprendre qu’il n’y a pas une cenne à faire avec la littérature (et l’art, par extension) et cessez d’en être déçu.

P.S : Sur le blogue de la Swompe, Mathieu Arsenault a très bien résumé ce qui adviendrait si le métier d’écrivain collait totalement au modèle carriériste.

Si vous voulez lire la note avec ses hyperliens, reportez-vous à sa version terrifiante.

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