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Moralement épuisé et absolument déçu par l’Amérique qu’il a vu se dégénérer tout au long de sa vie, cette Amérique qui s’est avortée elle-même, grosse de ses bouillonnantes années ’60, cette Amérique seulement rêvée et depuis longtemps évanouie, Hunter S. Thompson (écrivain de la contre-culture & journaliste) met fin à ses jours en février 2005, trois mois après la réélection de George W. Bush, en se brûlant la cervelle. Pour des raisons qui, dans leur essence, ne sont pas tellement différentes, le 15 mars 1977, Hubert Aquin s'est lui aussi flambé la cervelle. La mort d'Aquin annonce toute une série de décès similaires, série qui se rend jusqu’à nous, en 2010, le plus récent étant celui de Marcel Simard.
Le message que laissent tous ces suicides est aussi triste que complexe. Un élément qui perd de son utilité, qui se sent rejeté par l’ensemble, déçu par l’ensemble, aliéné de l’ensemble; l’élément qui se sent vidé de sa substance, par une force naturelle, se supprimera ou sera supprimé. Une tendance s’exprime tranquillement dans les sociétés nord-américaines : l’Art perd sa raison d’être, l’Art tend à se supprimer lui-même. Et donc ses disciples, les artistes.
Je trouve qu’il n’y a pas rien de plus alarmant pour une communauté que de voir ses artistes se suicider. Mais attention! Il ne s’agit pas ici du Mal qui la tenaille : il ne s’agit que d’un symptôme. Le symptôme d’une gangrène souterraine, gangrène qu’on décèlera beaucoup trop tard, lorsqu’elle aura bouffé tous les membres et tous les organes essentiels à la vie.
Peut-être que l’Art a fait son temps? Peut-être que nous sommes assez grands maintenant, nous, peuples riches et industrialisés pour s’en aller et passer à autre chose? Peut-être? Non?
Même le petit garçon dans The Road essaie de jouer de la musique.