vendredi, mars 11, 2011

De l'huile sur le feu...

Une note de bas de page à celle-ci. Telle que publiée sur TERREUR!TERREUR!




Mi-session oblige, je me suis permis quelques flâneries. Plus je vieillis, plus je me découvre une fibre masochiste. Parfois, pour l’alimenter, je vais du côté de la Clique du Plateau. Le truc, pour que ce blogue reste un tant soit peu sympathique, c’est qu’il devrait supprimer l’option des commentaires. Ce blogue devrait empêcher Joe & Bine de venir commenter, de venir s’exprimer sur tous les sujets, suivant toutes les humeurs, sans que l’un ou l’autre ne puissent écrire une seule phrase grammaticalement correcte. Mais jamais ce blogue n’osera faire cela car, comme toute bonne fange, ces commentaires (qui sont postés par centaines) lui fournissent un carburant fossile de choix, durable et renouvelable, avec lequel il peut rouler sur d’encore longues distances.

Je sais, vous allez me dire que je ne m’aide pas en allant lire les inepties qui se retrouvent dans les pages de commentaires, que je fais exprès, que je me crinke pour rien. Mais bon, au coeur les réflexions qui sont miennes, un blogue tel que la Clique du Plateau est un phénomène digne d’intérêt et c’est pourquoi il m’arrive de m’y échouer. Sauf que cette fois-ci, je suis allé zigoner dans ses archives et j’ai déterré la note du 5 août dernier (oui j’ai lu le tutorial d’Hugo Dumas sur «comment faire de la chronique en 2011 deux points zéro»). Ça m’a donné le goût de me vider un 40 oz. dans le gosier puis de quitter mon logis, 20 ga. chargé, pour faire créance de sang. Non seulement la Clique juge pertinent de ridiculiser l’épuisement professionnel de Mara Tremblay (non je ne vais pas venger madame Tremblay avec cette note) mais elle invite ses lecteurs à se faire un beau feu de joie avec la Mara toute nue, pieds et poings liés sur le bûcher. La Clique demande à ses fidèles d’exhiber leur vie professionnelle et d’expliquer en quoi ceux-ci méritent le burn-out et non pas Mara, fragile grateuse de cordes. Dans cette note (qui confond deux choses, l’épuisement d’une musicienne et le battage médiatique qui en a été fait), on retrouve encore l’argument central de la Clique au grand complet (la clique qu’on prend pour une gang de clowns, là). Son premier penchant, c’est que la culture au Québec, c’est sur-subventionné, que nos trimeux-dûrs-de-pauvres-martyrs-contribuables donnent de précieux dollars pour engraisser des pelleteux de nuages pachas qui mangent plus gras que les Madoff, les Lacroix, les Jones de ce monde (je n’ai probablement pas les mêmes amis facebook que mes compatriotes surtaxés par nos capricieux artistes, mais quand vient le temps durant lequel le Conseil des Arts et des Lettres décerne les rares bourses qu’il donne encore, je vois la teneur très uniforme des statuts qui popent sur mon newsfeed, je lis que prospérité et communauté artistique sont deux réalités contradictoires et qu’un québécois moyen qui parle de culture sur-subventionnée et pleine aux as, c’est comme un Nord-Américain qui croient connaître la réalité quotidienne d’un kid qui survit dans les bidonvilles de Johannesburg). Son second penchant, c’est que le BS de luxe qu’est l’Artiss, choyé comme il est à vivre des sous du bon gouvernement, ne devrait pas craquer; en tout cas, il n’est pas payé par notre bon contribuable pour se taper un burn-out, t’sais, déjà, qu’il ne travaille pas. Dédé Fortin non plus ne travaillait pas. Il était épuisé de la vie, en tout cas. Si le drame de sa disparition arrivait aujourd’hui, je ne sais pas si la Clique l’utiliserait pour alimenter la haine des masses face à leur gente artistique. En fait, oui je le sais.

Je me suis souvent demandé si le contribuable savait pourquoi la culture est subventionnée. Je me suis souvent demandé si le contribuable savait que sa culture était sur le respirateur artificiel – je me suis souvent demandé si le contribuable s’inquiétait du fait que sa culture soit sur le respirateur artificiel. La réponse que je me suis faite c’est que non, le contribuable n’y comprend rien; le contribuable n’en à rien à cirer. Une piasse qu’on donne aux poètes (parce qu’on en donne qu’une seule, croyez-moi), c’est une piasse qui ne va pas dans les hôpitaux, dans les écoles, aux polices, etc. Fine. Okay. Le contribuable ne sent pas la dextérisation qui s’opère tranquillement en lui, il ne sent pas non plus ses intuitions se radicaliser; personne ne voit l’argument du rentable sonner le glas de toute initiative artistique (parce que non, écrire tes romans de vampires qui pognent n’a rien d’une initiative artistique). Je suis terrorisé en voyant tout ça à l’œuvre. Qu’on puisse écrire 240 commentaires de haine à l’endroit des artistes, à propos d’une note concernant une chanteuse folk, est un symptôme des plus alarmants (again). En tout cas, ça participe au fait que le québécois moyen déteste son producteur de culture, son producteur d’identité, vilipende les êtres qui s’adonnent plus que lui à la tâche ingrate d’inscrire sa réalité dans l’imaginaire humain. Dans une note récente, on m’a trouvé trop draconien à l’égard de ces gens qui voulaient l’anéantissement des artistes. Frantz Fanon et Hubert Aquin se sont littérairement lancé la balle en disant que la violence était nécessaire, qu’elle s’imposait comme seul moyen valable, lorsque le dialogue échouait. Le dialogue entre les contribuables et les artistes est entrain d’échouer.


Hannah Arendt parlait d’une crise de la culture : elle s’est demandé, une couple de centaines de pages durant, comment la culture humaniste avait pu enfanter les horreurs du XXe siècle. Il y en a une deuxième qui se prépare. Mais ne vous inquiétez pas. Vous n’en verrez rien sinon que le flash aveuglant : ses ravages feront souffrir les plus coriaces – ses plus discrets architectes comme les plus douillets d’entre nous partiront avec la première déflagration. Dans quelques décennies, on cherchera à savoir comment tout ça est arrivé. La réponse est là : par minable jalousie ou par ennui, on a eu un fun noir à lapider ceux qui préféraient crever de faim et parler que s’embourgeoiser et se taire. Je vous dispense du reste, c’est assez horrible merci.

Demain, si ça vous tente, je vais vous entretenir sur la manière dont le nazisme s’est implanté en Europe durant le premier tiers du siècle dernier.


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