L’hiver dernier, j’ai publié une note en réaction au suicide de Marcel Simard (la liste s'est allongée au printemps dernier, lorsque Robert Mailhot est passé aux mêmes actes). Je faisais le constat que rien n’était plus inquiétant que de voir les artistes d’une société se donner la mort. Aussi je trouve qu’il n’y a rien de plus louche que de voir une société commencer à envoyer chier ses propres artistes. Que ce soit par les propos maintenant célèbres de Serge Henry; que ce soit par la bouche des animateurs de radio-poubelle ou que ce soit par la pléthore de commentaires qu’on peut recueillir sur des blogues grand-public style La Clique du Plateau, un message homogène se formule tranquillement : une (importante?) partie de la société québécoise envoie chier ses artistes, abhorre ses artistes, développe une abjection viscérale à leur endroit et à l’endroit de ce qu’ils représentent. Je ne me prononcerais pas sur les raisons apparentes de ce phénomène, ni non plus sur la nature du carburant de cette haine, à savoir le présumé mythe de l’artiste enrichi par les subventions, à savoir la figure la plus aboutie du vampire, celle du BS de luxe suçant l’argent du système pour écrire ses « inepties élitistes »; je veux simplement soulever le fait que nous atteignons une ère extrêmement inquiétante. Je voudrais trouver ce qui s’est passé dans la suite des événements pour qu’on en vienne à détester à ce point les artistes et les intellectuels, à les considérer comme des parasites absolument nuisibles. Je ne ferai pas de plaidoyer pour défendre ces derniers car je suis profondément convaincu que ceux qui les dénigrent sont irrécupérables. L’âge des Lumières est terminé. Il ne vaut plus la peine d’éclairer les masses : elles se complairont dorénavant dans un abrutissement cynique qui démonise le goût ou la capacité de réfléchir.
Si par ailleurs, nous nous considérons un tant soit peu artistes ou intellectuels, il ne nous reste plus que la confrontation. Nous nous devons d’être plus que jamais impitoyables dans nos démarches et plus jamais devons nous rechercher le consensus. Il faut faire peur; il faut faire mal. Ils nous ont sacrés parasites? Nous leurs seront plus que jamais dangereux.
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Il y a 4 jours
10 commentaires:
Tu vas un peu dans le même sens que Houellebecq dans _Rester vivant_ : « Le poète est un parasite sacré », écrit-il (je cite de mémoire, j'ai prêté le livre). Il prolifère dans les civilisations en déliquescence ; son rôle est de rendre compte de cette décomposition : « Frapper là où ça fait mal. »
D'accord avec ta conclusion. Alors, ils nous détestent ? On n'est pas là pour se faire aimer, voyons (autrement on ferait le cover du _7 jours_, on dirait à la rédio ce que le monde veut entendre, etc.). Poètes, vos papiers !
Juste texte, M. Le Mercenaire.
Grâce au néo-libéralisme et maintenant grâce au républicanisme conservateur, le filet social québécois est en pleine décomposition (ex : éducation de marde à l'école, identité québécoise qui faiblit, écart grandissant entre riches et pauvres, pertes des références historiques et statistiques, faveurs données à l'industrie qu'on retire à la communauté, salut dans la consommation de biens matériels, l'endettement individuel) et cela pave ainsi la voie au populisme, à la psychose sociale et à l'obscurantisme (pensons à Chantal Lacroix et sa table qui bouge).
Une société qui envoie chier ses artistes est en effet un symptôme alarmant.
Il faut en effet résister, en tant qu'artistes et intellectuels, pour ne pas voir tomber la nation dans une grande noirceur. Le Québec est un de ces endroits du monde où le terreau est des plus fertile en ce qui a trait au retour à un Moyen-Âge. Comme bien d'autres nations, la décomposition du discours s'installe parce que les bases historiques commencent à se diviser devant la fatalité du fait de l'immigration, de l'anglais et de la mondialisation, mais ici au Québec nous n'avons même pas de constitution ni de pays pour se vautrer vers un passé glorieux, alors voyez ici la débandade en cours et imaginez celle à venir.
Devant la fatalité du changement et de l'envahissement, le peuple souhaite rester fixé dans un temps et un espace flottant. Il cherche alors des assurances et se tourne vers les plus forts qui sont en fait en même temps les marchands (voir radios et journaux commerciaux qui les amusent et choisissent de quoi ils doivent avoir peur). Ainsi, au lieu de faire la révolution, on se met à répéter ce qu'on entend et on dit des âneries (le fameux gros bon sens). Le temps se fixe, le monarque ou le dictateur s'installe.
C'est par l'art, la créativité, le métissage (tisser des liens avec l'immigrant) et le débat intellectuel qu'on freinera ou renversera le mauvais sort et la bêtise (le débat intellectuel a encore sa place, mais là aussi il faut être cruel et sortir les jack-knife). Si le mauvais sort n'est ni renversé, ni freiné, on se payera du moins un dernier moment de lucidité avant d'imploser comme société et comme culture. Comme les violonistes sur le Titanic, il faut continuer à jouer même les pieds dans l'eau glacée (dans la marde dans le cas qui nous intéresse).
Et je ne considère pas que de se nommer artiste et de participer à un video de propagande contre le gaz de schiste soit la panacée. On ne parle pas ici d'art, mais d'influence par le jeu de la personnalité publique sur une question précise. Je considère plutôt qu'il faille seulement continuer à créer artistiquement, à débattre par le discours INTELLECTUEL (intro, développement, conclusion, faits, références, respect de la grammaire, t'sais le genre d'affaires de base) et à prendre, grâce à ses deux façons, plus de place dans la cité. Deux façons de jouer du coude et de mettre en échec la stagnation et la psychose sociale. Et de refuser la bêtise et le règne des imbéciles. Il faut seulement ne pas croire l'âne quand il dit dit que l'artiste pellette des nuages. L'artiste, comme l'intellectuel, doit s'affirmer comme expert en idées et en mouvement et doit croire que sans lui, il n'y a pas de salut authentique et réel. N'est-ce pas ça la révolution.
LE REBUT TOTAL, ça te dit quelque chose ?
http://www.theatreperil.com/rebut-total.htm
Simon G. l'a lu et apparemment il a aimé.
J'ai l'impression que le rôle de l'artiste et de l'intellectuel doit rester le même, sans forcer l'affrontement au-delà de ce qui y était déjà. Peut-être que la société se rend compte que les artistes aiment critiquer ce qui se passe et qu'ils envoient chier parce qu'ils y voient un juste retour des choses. Comme si les subventions devaient empêcher les artistes de critiquer la société. On ne demanderait pas à des sociologues de dresser un bilan positif de la société parce que c'est elle qui subventionne les recherches. Bref, je ne crois pas qu'il faille forcer l'affrontement et entrer dans ce jeu (je parle davantage en tant qu'intellectuel qu'artiste).
L’artiste
La figure tutélaire de l’artiste claudique sur l’azur saoul
Imbibé par les démons d’une création de Panurge
Tissant et filant les mêmes laines qui habillent le corps
Depuis un paléolithique néanderthalien en peau de bête
Qu’ils soient aimés ou réprimés l’Inquisition ne fait rien
Brûlant des cierges à l’applaudimètre de la pensée unique
Coulant des mêmes cires thermoformées de naphtaline
La matière de l’être inconnaissable pour l’esprit critique
L’art noble doit secouer l’histoire en pratiquant le noble art
Tapant du poing dans les crevasses ennemies du temps jadis
Vers une toujours modernité du style qui perfuse l’ivresse
Cette nouvelle venue des cuisses de la progéniture sublime
Ces commentaires, et ce billet, me donnent froid dans le dos.
La confrontation entre les artistes et le "reste de la société" ne devrait pas avoir lieu !!
Nous ne sommes pas là pour emmerder le monde, mais pour lui faire ouvrir les yeux. A lutter contre ceux qu’on voudrait faire écouter, on fait exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire !
L'artiste crée pour lui-même, soit, mais au fond, il cherche quand même une certaine reconnaissance d'au moins un certain public. Il se doit donc au moins d'être ouvert au dialogue avec ce public là. Sinon, autant s’exiler au fin fond de la montagne et composer/peindre/écrire tout seul et réciter ses œuvres au vent.
Non, prendre le maquis n'est pas la solution pour l'artiste. Le poète n'est pas un guerrier. On doit plutôt ouvrir les horizons par le dialogue, la reflexion et par la beauté. Une dose d'humannisme serait bienvenue également.
Nos œuvres sont nos meilleures armes, à nous de les rendre efficaces. Plutôt donc que de dépenser toute cette énergie dans une lutte incertaine, peaufinons plutôt notre art pour convaincre le plus grand nombre du bien fondé d'aider les artistes. Faisons nous aimer,c'est ca, et uniquement ca, qui fera tourner le débat. Faisons nous donc aimer!! Quel est le mal à plaire à un grand nombre, hein? En étant populaire il devient bien plus facile de faire passer nos messages.
L'art, c'est comme tout, ça s'apprend. Le public lui-même doit être éduqué. Le tort des ignorants c'est de ne pas savoir, soyons donc des éducateurs plutôt de des épines dans le pied, car personne ne les aime, celles-là, et tout le monde veut les extraire!
Alexandre: J'aimerais valider ta position mais j'en suis incapable. Si tu fais de l'art populaire (j'ai de la misère à rassembler le nom et l'adjectif pour des raisons ontologiques), soit qui rejoint un maximum de gens, tu ne diras plus rien de valable. Ta parole seras évaporée dans le consensus. Et faire consensus, c'est dialoguer, oui, mais en répétant platement ce qu'on s'est permis de dire et surtout, en occultant tout blasphème, toute parole profane de ce dialogue proprement orthodoxe, proprement reconnu. Le poète n'a pas de carrière et si jamais il trouve public, ce n'est pas pour payer son loyer. On a tellement distordu le concept de reconnaissance qu'on ne comprend plus trop comment il fonctionne. Aussi, le poète doit surtout être guerrier. Terroriste, même. Il doit prendre des moyens détournés et neufs pour poser des questions qu'on refuse de poser, pour soulever une laideur qu'on ne cesse de farder avec la poudre des bons sentimens qui nomment maintenant les normes esthétiques de l'art. Attend, ce n'est plus tellement de l'art mais du divertissement, car le bon art, l'art qui pogne, doit divertir, non? Le plus de gens possible. Ainsi, il sera digne d'être reconnu. Tous ceux qui ont fait bougé les choses n'ont jamais perdu de temps à se trouver un public, n'ont jamais cherché à plaire : ils ont fait leur trucs. Et ne me ramenez pas la question du mécénat : le seul art que cette forme de financement a su créé, on l'a jeté au poubelle aux premières aurores de la modernité.
"Aussi, le poète doit surtout être guerrier. Terroriste, même."
Je suis très sceptique au sujet de la violence. Il faut se défendre, certes, mais la violence verbale ou physique n'amène jamais que de la violence ou de la haine.
Au fond, quel but veux-tu atteindre?
Si tu veux écrire juste pour l'art, l'art pour l'art, alors oublie la clameur, les râleurs, les subventions et tout le reste. L'art devrait te suffire. Ecris, compose, peint ce que tu veux et profites-en.
MAIS, si tu veux des subventions, bin là tu te places dans la position de toute entité qui demande de l'argent: il faut convaincre celui qui t'en donne qu'il a raison de le faire.
On subventionne l'art parce que quelque part on pense que ça doit avoir un effet bénéfique sur la culture et l'"aura" de la nation. Il est donc légitime pour le contribuable de savoir que ses impôts son bien investis. C'est normal, on ne peut pas leur en vouloir pour ça. Moi même je râle souvent quand je découvre les conneries que fait le gouvernement avec mon argent.
L'artiste qui veut des subventions doit donc prouver au contribuable qu'il a raison de donner pour l'art. Et je suis convaincu que le terrorisme verbal ne le persuadera pas. Pire, ce terrorisme peut nuire à tous ces artistes qui s'essayent, eux (les vendus!), de plaire. Ils sont dès lors mis dans le même sac que les "terroristes", ce qui est une injustice.
Donc, encore une fois: si tu réclames des subventions, bin faut plaire au contribuable. Sinon, bin fais de l'art pour l'art, et oublie les subventions. Si elles arrivent, tant mieux, mais en tout cas, sois indifférent aux clameurs.
Ce n'est pas un monde ou un système parfait, c'est sûr, mais il faut bien composer avec! L'artiste aussi doit être pragmatique de temps en temps pour survivre...
My $0.02...
Attention Alexandre, je ne réclame aucune subvention. Si tu penses que mes sursauts de colère masquent du pleurnichage pour ne pas recevoir du fric, tu fais fausse route. Dans tout ce que j’ai entrepris jusqu’à ce jour, j’ai tout financé de ma poche et je n’ai jamais cru au système des subventions – je trouve d’ailleurs qu’elle empoisonne le processus artistique plus que d’autre chose, car comme tu le soulèves, celui qui en jouit doit d’une manière ou d’une autre conforter l’institution qui les lui octroie. Les subventions, c’est vraiment pas ça qui me dérange. Ce qui me dérange c’est le discours qui s’amplifie de jour en jour, à savoir celui qui exhorte la masse à détester les artistes. Ce qui me dérange aussi, c’est le consensus silencieux comme quoi un tel discours, c’est pas si grave que ça. En ce qui me concerne, je n’ai jamais attendu après l’argent du contribuable pour imprimer un Porte-Abîme. Mais le contribuable, je le trouve dangereux quand il trouve totalement inutile de se financer une culture. D’autant plus qu’au lieu de demander des comptes à l’organisme qui attribue l’argent aux divers projets culturels (le govt), il garroche des briques dans la face des artistes de tout acabit en s’indignant que ceux-ci ne valent pas la piasse qu’il dépense pour eux. Ma colère, c’est une manière d’exemplifier de manière alarmante les symptômes que je remarque ici et là.
Le poète doit être guerrier et terroriste. Absolument. D’après moi, le poète est agent de changement et plus le statu quo se fait résistant, plus il doit y aller d’action (verbale, illocutoire) violente. Mon appel à la violence est surtout un appel au viscéral. Mais c’est aussi un statement : si d’autre part on veut que le poète se ferme la gueule, hé bien faudra se déplacer et lui clouer le bec à la suite d’un rude combat. Je veux faire du littéraire une figure aussi inquiétante que celle que je garde dans ma mire : le contribuable d’engeance de plus en plus tea-partyenne, de plus en plus conservatrice.
Au terme de toutes les discussions qu’on a eues ici et là sur les blogues, faut comprendre que ma position est peut-être plus rigoriste que beaucoup d’autres. Au point où j’en suis, la modération n’a pas meilleur goût. Je me rapproche d’un tout-ou-rien irréversible. Pour moi, la pratique littéraire n’a plus rien de ludique : c’est une exigence. Je peux comprendre que ce n’est pas le cas de tous. Je veux simplement qu’on comprenne que, même si on s’y adonne en pur dilettante, la littérature implique sérieux et aplomb. Si c’est un hobby/revenu secondaire pour certains – les arguments qui pèsent dans cette direction deviennent de plus en plus étouffants et quasi-démagogiques – pour d’autres, c’est quelque chose de franchement plus grand. Bon. J’arrête ici et me garde des munitions pour une autre note. Alexandre, merci de passer par ici et de stimuler la discussion.
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